Césars 2020 : « Il faut séparer l’homme de l’artiste »
- sortiedececours
- 13 mars 2020
- 5 min de lecture
Le 28 février dernier se tenait à Paris la 45 e cérémonie des Césars dans la prestigieuse salle Pleyel,
afin de récompenser le cinéma français et ses meilleurs acteurs, techniciens, scénaristes ou encore
réalisateurs. Si la maîtresse de cérémonie Florence Foresti a mené d’une main de maître cette soirée,
n’hésitant pas à railler subtilement les « douze moments où l’on va avoir un souci ce soir », si le
meilleur film étranger a été attribué à l’excellent Parasite de Bong Joon-Ho, ou encore si Lyna
Khoudri a été récompensée en tant que meilleur espoir féminin pour son formidable rôle dans
Papicha, il est tout de même difficile voire impossible de parler d’une quelconque réussite pour les
Césars 2020. Certains à l’image d’Adèle Haenel, dénonceront « La Honte » de cette soirée. Et pour
cause.
Une cérémonie sous tension
Les polémiques autour des Césars 2020 ne cessent de s’accumuler depuis plusieurs mois à tel point
qu’on en oublierait presque de parler de cinéma. D’abord les douze nominations de J’accuse de
Roman Polanski, puis la dénonciation du manque de diversité, de démocratie et de transparence au
sein de cette institution désignée comme étant « élitiste et fermée », enfin la démission collective de
cette dernière mi-février… Il est clair que l’Académie des Césars traverse actuellement une crise dans
un contexte où nombre de personnalités du monde du cinéma réclament un remaniement en
profondeur de cette institution au fonctionnement archaïque créé en 1975. Mais la principale
polémique de ces dernières semaines semble être celle entourant le réalisateur Roman Polanski,
condamné pour le viol d’une enfant de treize ans en 1977, accusé de multiples agressions sexuelles
sur mineures et nommé pour son film J’accuse dans douze catégories. Après plusieurs semaines de
contestation notamment de la part d’associations de prise en charge des victimes de violences
sexuelles, le réalisateur renonce « avec regret » à se rendre à la cérémonie, décision suivie par toute
l’équipe du film.
Distinguer l’homme du cinéaste ?
Voilà donc toute la problématique : doit-on considérer que les crimes commis relèvent de l’homme
et non de l’artiste, et qu’en conséquence cela doit rester cantonné à la « vie privée », ou qu’au
contraire cette dissociation n’a pas lieu d’être et qu’en conséquence récompenser son œuvre c’est
« cracher au visage de toutes les victimes » comme le déclare Adèle Haenel ? Quand certains
parleront d’une forme de censure de son œuvre, d’autres dénonceront le « César de la Honte » qu’il
a été décidé de lui attribuer pour la réalisation de J’accuse.
En ce qui concerne l’Académie des Césars, en décidant de le récompenser à deux reprises lors de
cette cérémonie, sa position semble claire. Mais voilà qu’à bien des égards, ce choix semble
dérangeant. Pourquoi tant de divisions sur le cas Polanski quand tout le monde paraît unanime sur la
nécessité de condamner les prêtres ayant commis des agressions sexuelles au sein de l’Eglise ?
Pourquoi cette volonté de « séparer l’homme de l’artiste » quand cette éventualité ne s’est en aucun
cas posée pour le rappeur Koba La D ayant tenu des propos homophobes et aussitôt déprogrammé
des festivals ? Deux poids, deux mesures. Aujourd’hui il semblerait inconcevable de laisser un prêtre
condamné pour viol continuer à exercer sous prétexte qu’il effectue d’excellents prêches, il en est de
même pour un artiste. Célébrer, récompenser, soutenir l’œuvre d’un pédo-criminel avéré, revient à
cautionner ses crimes et nier la douleur des victimes.
L’incohérence aberrante : récompenser un film traitant du combat contre l’impunité des pédophiles…et quelques minutes après remettre un César à un pédophile impuni
Grâce à Dieu, film poignant retraçant l’histoire de trois hommes qui découvrent que le prêtre qui a
abusé d’eux étant enfants officie toujours et qui vont, dès lors, se battre pour libérer la parole afin de
le faire condamner. Sept nominations, un lauréat : Swann Arlaud pour le meilleur acteur dans un
second rôle. Les critiques sont unanimes : un film puissant, juste et nécessaire que signe François
Ozon. Dix minutes plus tard, Roman Polanski, reconnu coupable de viol sur mineure est récompensé.
Adèle Haenel quitte la salle à coups de « Bravo la pédophilie », Florence Foresti sur les réseaux
sociaux se dit « écœurée ». Près de trois ans après le début de #BalanceTonPorc, ayant entrainé la
libération de la parole sur les viols et agressions sexuelles, à l’heure où l’on réclame une
condamnation sévère et systématique des criminels sexuels, comment dissocier l’homme de
l’artiste ? Comment encourager les victimes à parler lorsque l’on choisit de célébrer leur agresseur ?
L’incohérence persiste encore dans le monde du cinéma mais plus généralement dans notre société
où si les discours les plus émouvants sont prononcés en faveur des causes les plus nobles,
l’hypocrisie prend souvent le dessus au moment de transformer ces douces paroles en actes.
Division du monde du cinéma
Au lendemain de la cérémonie des Césars, les réactions de « la grande famille du cinéma » ne se sont
pas faites attendre : il s’agissait dès lors de choisir son camp, de prendre parti, défendre ou accuser.
Si certains n’hésitent pas à afficher leur soutien au réalisateur à l’image de Fanny Ardant se déclarant
être « très heureuse pour lui » ou encore Brigitte Bardot affirmant qu’il « sauve le cinéma de sa
médiocrité », on observe tout de même une majorité d’acteurs et d’actrices exprimant leur
désaccord voire leur stupéfaction face aux nominations et récompenses de Roman Polanski.
Cependant, il reste une part importante qui dans ce contexte, décide non pas de soutenir ou de
fustiger le réalisateur, mais de juger la performance de la maîtresse de cérémonie et là aussi, on
retrouve une diversité d’avis. Il ne semble ici pas nécessaire de les relever et c’est la raison pour
laquelle s’y attarder serait une perte de temps, dans la mesure où cela reviendrait à éclipser les
combats actuels.
Les modes d’action : quelle importance ?
Au fond, qu’elle ait mené la cérémonie avec brio ou pas relève uniquement d’une question de point
de vue : il serait tout à fait légitime de la juger excellente comme médiocre. Ce qui semble en
revanche problématique, c’est qu’accorder davantage d’importance à une performance dont on se
souviendra de manière anecdotique dans quelques mois, revient finalement à faire passer au second
plan des luttes considérées désormais comme urgentes à mener. En somme, tout le monde peut
avoir un avis sur les modes d’action entrepris pour dénoncer les violences sexuelles, que ce soit par
le biais d’une cérémonie, de manifestations, de collages d’affiches ou de témoignages postés
notamment sur les réseaux sociaux. Cet avis peut même être négatif : mais il faut bien comprendre
qu’en s’attardant sur les formes données à la lutte, on diminue le temps que l’on accorde à la lutte
en elle-même. Une actrice ironisant sur un réalisateur convaincu de viol lors d’une cérémonie mène
le même combat qu’une inconnue collant des affiches contre les féminicides ou qu’un individu
témoignant du viol dont il a été victime. Aujourd’hui des millions de femmes et d’hommes à travers
le monde trouvent le courage et la force de témoigner des crimes dont ils ont été victimes, de porter
la voix de ces derniers pour d’autres afin que la honte change définitivement de camp et que ces
atrocités puissent un jour complètement disparaître.
Alors, si l’on s’accorde tous sur la nécessité de faire évoluer les mentalités sur ces questions afin que
ces crimes cessent, on s’accordera également sur le fait que les modes d’action choisis pour lutter
contre les violences sexuelles relèvent définitivement du détail.
Louise
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