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Coronavirus : une propagation du racisme anti-asiatique plus rapide que le virus

Dernière mise à jour : 9 mars 2020

Alors que le Coronavirus a déjà fait plus de deux mille morts, un nouveau phénomène épidémique a vu le jour avec la multiplication d’actes racistes à l’encontre de la communauté asiatique.


S’il t’arrive de traîner sur Twitter ou Facebook pendant tes CM (oui, oui, on le fait tous !), tu es probablement déjà tombé(e) sur cette fameuse vidéo montrant des passagers du métro remonter leur col et leur foulard après qu’une femme d’origine asiatique s’est assise en face d’eux. Ridicule, ubuesque, choquant vous allez me dire mais malheureusement les témoignages en ce sens abondent. En outre, depuis l’apparition du coronavirus, la communauté asiatique fait l’objet, en France et dans le monde, d’incidents xénophobes et de propos discriminatoires. Il est donc temps de revenir sur l’ampleur mais aussi sur les origines de ce phénomène.

Une psychose qui se manifeste de manière protéiforme


Interdiction explicite d’entrer dans des restaurants, surnoms désobligeants (« Corona », « Virus » et j’en passe), regards insistants dans les transports en commun ou même agressions dans la rue sont devenus monnaie courante. Parmi tous ces exemples, les transports en commun semblent être des lieux particulièrement propices au déferlement d’un racisme décomplexé, comme le montre le témoignage de Camille (20 ans), étudiante à Paris I qui me racontait justement en avoir fait les frais. Alors qu’elle attendait dans le bus, les remarques déplacées ne se sont pas fait attendre : « Porte un masque, t’as le coronavirus, tu nous mets en danger ». Son cas est loin d’être isolé puisque le nombre de personnes asiatiques à qui on a demandé de porter un masque est incalculable, tant ce dernier est considérable.

Mais ce qui choque encore davantage c’est bien l’absence de réaction de la part des autres passagers qui se contentent, dans la grande majorité des cas, d’être des observateurs passifs devant ces scènes éminemment racistes.


Sans être exhaustif, on peut également évoquer celles et ceux qui sont pointés du doigt dans les supermarchés ; les restaurants vietnamiens, cambodgiens ou thaïlandais qui voient leur chiffre d’affaire chuter par manque de fréquentation ; les touristes chinois qui se font cracher dessus ou encore qui sont accusés en public de transmettre le virus.

Néanmoins, dans le domaine, la Palme d’or, que dis-je le César du journal le plus insultant revient bien évidemment au Courrier Picard qui titre en une du 26 janvier 2020 « Alerte jaune ». Le terme « jaune » mérite-t-il un commentaire dans cet article ? Non, je ne pense pas. Que ceci ne nous empêche cependant pas de souligner la profonde indignation que provoque ce raccourci entre la contagion du virus et une communauté ethnique.





Par ailleurs, les attitudes racistes ne se limitent pas à l’hexagone puisqu’en Malaisie, près de cinq- cents mille personnes ont signé en un temps record (une semaine) une pétition visant à empêcher les Chinois d’entrer dans le pays. Parallèlement, certaines universités américaines ont été particulièrement indulgentes vis-à-vis des réactions xénophobes, à l’image de Berkeley University en Californie qui a expliqué, dans un post Instagram destiné à ses étudiants, que ces dernières étaient ordinaires et normales face à la peur du virus.



Face aux manifestations de haine raciale, la communauté asiatique riposte sur les réseaux sociaux avec le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus. Ce dernier, lancé par une jeune fille qui désire rester anonyme, vise à dénoncer les stéréotypes et les clichés véhiculés par l’apparition de l’épidémie. Depuis sa création, les témoignages affluent notamment sur Twitter. A travers cet hashtag, deux enjeux sont recherchés : dénoncer les insultes, moqueries ou dénigrements et permettre, dans un but de visibilisation et de sensibilisation, aux victimes de libérer leurs paroles.

L’objectif est également de mettre en évidence l’amalgame qui est parfois réalisé de manière irrationnelle entre la propagation du virus et l’origine ethnique, dans un contexte où peur et anxiété font partie de l’atmosphère générale. Mais rappelons-le, une personne chinoise qui n’est pas allée en Chine ces trois derniers mois n’a pas plus de chance qu’une personne d’une autre origine d’être contaminée...


Les conséquences du phénomène : entre diabolisation des Chinois et banalisation du racisme anti-asiatique


Dans cette logique, les asiatiques et en particulier les chinois sont diabolisés comme si tous étaient porteurs du virus. Réduites parfois à une maladie, les personnes asiatiques sont déshumanisées. Cette diabolisation tire ses origines dans de vieilles idées reçues selon lesquelles la Chine est un pays sale et sans hygiène avec des mœurs et des modes de vie considérés comme archaïques. En outre, depuis l’apparition du coronavirus, des vidéos de personnes asiatiques mangeant des « salades de souris » ou des « soupes de chauves-souris » circulent sur les réseaux sociaux et servent à justifier l’origine de la crise par des habitudes culinaires considérées comme exotiques. En réalité la « soupe de chauves-souris » est un mythe et ne fait en aucun cas partie d’une quelconque tradition chinoise. Néanmoins, cette légende urbaine participe à une dévalorisation des personnes chinoises mais aussi vietnamiennes, cambodgiennes, thaïlandaises, japonaises, ...


Tous ces propos, regards et remarques sont problématiques car ils participent à une banalisation du racisme dans l’espace public. Banalisation car, sous couvert de blagues jugées parfois anodines, se diffuse une discrimination acceptée et admise. Très typique de la normalisation du racisme anti-asiatique, l’animateur britannique Piers Morgan s’est permis une blague des plus discutables. En effet, dans le programme Good Morning Britain qu’il animait ce 21 janvier dernier, il imite un des

petits fils de la reine Elizabeth avec un accent qu’il considère comme chinois : « Je suis désolé Votre Majesté, mais je ne bois que du lait yang yank yong ying ming ». D’autre part, depuis l’arrivée du coronavirus, ce genre de blagues xénophobes foisonnent sur les réseaux sociaux, en particulier Twitter. Mais ces plaisanteries ne sont pas drôles et ne font que systématiser une désinformation qui est presque aussi dangereuse que le virus lui-même.


L’exclusion de la minorité asiatique de l’espace public est parfois la résultante de ce phénomène qui ne cesse de croître. Dernièrement, une caissière d’Auchan interviewée sur France Info, a expliqué avoir fondu en larmes après que des clients ont refusé d’être servis par elle. Pour cause : ses origines asiatiques. D’autres se sont même vu expulser du RER parce qu’ils portaient un masque sanitaire. Alors que le port du masque est considéré comme un signe de respect par les asiatiques,

ce dernier semble parfois provoquer un sentiment de crainte chez certains de nos concitoyens. C’est ainsi que certains directeurs de magasins, à l’image du responsable Chanel aux Galeries Lafayette, a demandé à ses vendeuses de ne pas le porter car il pourrait être perçu comme synonyme de maladie par certains clients.


Le coronavirus ravive des préjugés ancrés et latents dans la société


Par ailleurs, ce vif sentiment antichinois engendre la propagation de préjugés, qui étaient déjà présents dans la société. Avant l’épidémie, les blagues stigmatisantes à base de « chintok », « Ching Chong » ou « bol de riz » n’étaient pas si rares, et faisaient/ font encore partie de l’espace public. On pense notamment à la vidéo datant de 2002, dernièrement diffusée, où l’on voit Isabelle Balkany appeler son employé municipal de la mairie de Levallois-Perret « grain de riz ». Son nom, à résonance cambodgienne, étant trop compliqué à prononcer selon elle. D’autre part, les insultes ou la réduction des personnes asiatiques aux sushi, mangas ou nems illustrent bien l’ignorance concernant le continent asiatique parfois naïvement réduit à la seule Chine. Tel est bien le constat dressé dans Le Figaro par Héloïse, une française d’origine vietnamienne, ayant déjà été victime de racisme par le passé. Elle déplore, en effet, que des inconnus se tiraient les yeux sur son passage ou l’apostrophaient dans la rue avec des surnoms tels que « La chinoise » ou « Miyazaki ». Pour cette étudiante en droit, le coronavirus ne sert que de prétexte à l’exacerbation d’une haine à l’encontre de la communauté asiatique. En outre, pour elle, le virus n’est qu’un catalyseur qui cristallise des préjugés sous jacents et qui libère un racisme déjà ancré dans les mentalités.


Parallèlement, pour l’écrivaine Grace Ly qui se livre dans l’OBS, on assiste à un basculement des clichés sur les asiatiques tantôt considérés comme la minorité modèle parfaitement intégrée et travailleuse, tantôt réduite et limitée à une maladie contagieuse. Ces étiquettes à la fois négatives et positives participent à une stigmatisation dont il est nécessaire de s’émanciper. Toujours selon l’auteure, de tels automatismes concernant la minorité asiatique sont également les symptômes d’une France qui n’a pas encore fait la paix avec son passé colonial.

Telle est bien l’idée défendue dans Le Temps par l’historien et spécialiste de l’histoire coloniale, Nicolas Bancel qui cherche à expliquer la prépondérance et l’enracinement des stéréotypes à l’encontre de la communauté asiatique. Effectivement, pour lui, pour trouver l’origine de ces préconçus idéologiques, il faut remonter à la colonisation des pays asiatiques par les États européens au XIXe siècle. Dès lors, ces derniers ont endossé un objectif civilisateur de type messianique face à des coutumes et mœurs jugées primitives. Ces préjugés ont ensuite évolué avec les mouvements anticoloniaux, l’immigration et l’émergence de la Chine comme seconde puissance mondiale, alimentant ainsi une image dépréciative à l’égard de la communauté asiatique et en particulier chinoise.


Juliette Mély

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