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Le dernier scrutin avant la fin du monde

“Vous prendrez bien un petit pschitt de gel hydro pour la route ?”. Dimanche 15 mars restera dans les mémoires comme le dernier jour d’insouciance pour les Français. Certes, la veille au soir les bars et les cinémas ont été fermés, et plus tôt encore les rassemblements de plus de cent personnes ont été interdits. Pourtant, nombre de nos concitoyens ont profité de ce jour presque printanier pour sortir en famille ou entre amis, pour faire le marché ou pique- niquer dans les parcs. Certains en ont même profité pour aller voter pour le premier tour des élections municipales ! En effet, en dépit de la crise sanitaire que traverse la planète, le gouvernement a décidé de maintenir ce scrutin, inédit à bien des égards.



Crédit photo : Jean Marie-Champagne


Inédit de par les mesures prises en amont du vote. Tous les bureaux ont été équipés en masques, gants, gels hydro-alcooliques et autres produits désinfectants. Les électeurs avaient pour recommandation de prendre leur propre stylo, et de respecter une distance d’un mètre entre chaque personne venue voter. Des lignes ont été tracées au sol pour symboliser cette démarcation. Très régulièrement, les assesseurs et agents municipaux désinfectaient stylos, tables, isoloirs et urnes. Un doux parfum de gel hydro-alcoolique flottait ainsi dans les écoles et gymnases du pays… Les présidents des bureaux devaient contrôler l’identité des électeurs sans entrer en contact avec les documents, et la fameuse carte électorale ne fut tamponner qu’à la demande express des électeurs.

Inédit de par le déroulement du scrutin. Partout en France des incidents ont été rapportés. Dans un bureau de vote du cinquième arrondissement de Paris, un président de bureau a quitté son poste à midi pour aller déjeuner, et n’est jamais revenu, laissant à son adjointe le soin de clôturer le scrutin. Dans certains bureaux, il manquait des assesseurs ou des scrutateurs pour le dépouillement. Des tensions assez fortes se sont faites sentir. Le ton est monté entre électeurs lorsque certains ne respectaient pas les distances de sécurité. Des électeurs ont refusé de glisser leur bulletin dans l’isoloir car il fallait entrer en contact avec le rideau, les assesseurs ont fermé les yeux sur ces irrégularités. Toute la journée des rumeurs ont circulé selon lesquelles un confinement total allait être déclaré le lendemain. Des assesseurs de grandes villes ont réservé leurs billets de train pendant la tenue du vote. A Paris, nombreux sont les électeurs à avoir refuser de participer au dépouillement au motif qu’ils quittaient la ville au cours de la journée. Plus d'une semaine après le scrutin, on commence à déplorer des cas d'assesseurs contaminés par le virus. CNews rapporte par exemple le cas de Paul Hatte, président d'un bureau de vote dans le XVIIe arrondissement de Paris, convaincu d'avoir été infecté durant la tenue du vote malgré le fait qu'il ait respecté toutes les consignes de sécurités. Il serait loin d’être le seul. À Montmagny par exemple, dans le Val d'Oise, la commune a confirmé la détection du virus chez pas moins de trois assesseurs…

Inédit de par le taux d’abstention. 55, 25% des électeurs ne se sont pas déplacés pour aller voter, c’est vingt points de pourcentage de plus qu’en 2014. Cette abstention record a une cause bien établie, et en un sens l’épidémie de Covid-19 peut remettre en cause la légitimité de ce scrutin. A Mulhouse par exemple, un des centres français de l’épidémie, moins d’un électeur sur cinq s’est déplacé aux urnes. Des résultats basés sur un corps électoral aussi faible sont-ils toujours aussi incontestables ?

Inédit de par les mesures prises après le vote. Les communes dans lesquels une liste a obtenu plus de 50% des suffrages est élue, soit dans près de trente mille communes. Les nouveaux conseils municipaux entrent donc en fonction pendant le confinement. En revanche, dans les quelques cinq mille villes où un second tour est nécessaire, une loi est nécessaire pour statuer sur cet entre-deux tours qui risque de durer au moins trois mois. Le dépôt des listes pour le second tour, qui devait s’effectuer avant le 17 mars, a été repoussé à une date encore inconnue. Le mandat des équipes en place sera prolongé, et un conseil scientifique statuera dans le 27 mai sur la faisabilité du scrutin le 21 juin. Si la situation sanitaire ne permet toujours pas d'organiser ce scrutin, c'est tout le vote qu'il faudra recommencer dans ces communes, y compris le premier tour. Mais cette incertitude ne concerne pas les municipalités où des listes ont été élues dès le premier tour. Ainsi ce scrutin marquera les mémoires, dont le cours a indéniablement été transformé par cette pandémie. La question de la sincérité du scrutin se pose également pour le second tour. Dans quelle mesure pouvons-nous voter dans la continuité d’un scrutin vieux de plusieurs mois alors que le cours de l’histoire de notre nation vient indéniablement de basculer ? Il est encore bien trop tôt pour le dire, mais il est certain que nos modes de vie et l’organisation de nos sociétés ne sortira pas indemne de ces événements.

Pourtant nous terminerons sur la citation d’une électrice qui nous aidera à relativiser. Cette habitante du cinquième arrondissement de Paris est née la même année que la signature du traité de Versailles en 1919, clôturant la Première Guerre mondiale. A la question “Vous prendrez bien un petit pschitt de gel hydro pour la route ?” elle semble hésiter. Elle finit par répondre “Vous savez, à mon âge, je pense que cela n’a plus guère d’importance. Un jour, on regardera tout ça et on se dira que finalement, on a vu pire.”


Simon Turlan

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