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Raoult : vrai savant et faux semblants

Depuis le 23 mars, une foule de Marseillais se presse aux portes de la Fondation Méditerranée Infection dirigée par le désormais célèbre Professeur Didier Raoult. A la fin du mois de mars, l’Institut se flattait d’avoir effectué plus de cinquante mille tests sur des individus malades ou non. Les patients doivent attendre des heures durant devant le bâtiment avant d’espérer enfin pouvoir être dépistés.


Crédit photo : Georges Robert


Il ne s’agira pas ici de dresser le bilan réel de la chloroquine et de ses effets sur le Covid-19. En effet, trop d’informations invérifiées et invérifiables engorgent nos sources d’informations. Cependant, une chose est sure : il s’agit d’un médicament, impliquant donc des effets secondaires réels. Ainsi, en Nouvelle Aquitaine, des cas de toxicités cardiaques ont été signalés à la suite de prises en automédication. Ces effets cardiovasculaires sont prouvés, et des cas d’intoxications aiguës graves sont à déplorer dans les régions du monde les plus atteintes par le paludisme (la chloroquine étant un antipaludéen). Nous vous engageons donc à la prudence : ne prenez pas ce médicament sans prescription. Ses effets sur le Coronavirus n’ont toujours pas été prouvés, et en usant de ce médicament vous vous mettez non seulement en danger, mais, de surcroît vous en privez les individus qui en ont réellement besoin. Toutefois, en cette période troublée, cet espoir de traitement ne peut être négligé, et il est nécessaire de faire des études poussées sur le sujet. Ainsi, le ministre de la santé Olivier Véran a déclaré le lancement d’un essai à grande échelle de quatre traitements possibles, notamment l'hydroxychloroquine.

Plusieurs questions se posent. Est-il bien raisonnable de se lancer dans une politique de test généralisé à l’échelle de Marseille alors que le reste du pays est dans une situation de grave pénurie de ces mêmes tests ? N’aurait-il pas fallu les réserver en priorité aux soignants, aux potentiels malades et aux personnes les plus fragiles ? Distribuer autant de tests dans un seul et unique lieu met de surcroît les règles du confinement et des gestes barrières à rude épreuve avec des rassemblements aussi larges. Cela a certes des effets positifs : la population peut être rassurée à court terme, et nous pouvons entr’apercevoir des statistiques globales sur le nombre réel d’infectés dans la population. Selon l’Institut, 16, 6 % des patients marseillais testés étaient positifs au Covid-19. Mais cela pose un autre problème. En effet, ce sont sur ces chiffres que se basent les médecins de l’IHU (Institut Hospitalo-Universitaire) de Marseille pour définir le taux de létalité dans cette ville : 0, 7 % contre 8 % en France, un chiffre comparable à l’Allemagne. Or, cette comparaison est forcément tronquée. En effet, le panel d’individus testés est bien plus large dans les Bouches du Rhône, tandis que le reste du pays doit se contenter du minimum syndical en termes de tests. Le taux de porteurs sains et de malades légers explose dans cette métropole, tandis qu’ailleurs on se concentre sur les malades les plus atteints.

Partant de ce constat, nous pouvons nous interroger sur la communication faite par le professeur Raoult autour de l’utilisation de la chloroquine. Si l’utilisation de cette dernière a des effets sur la mortalité, il nous est impossible de l’évaluer à travers les chiffres de celle-ci car il ne s’agit pas des mêmes unités de mesure à Marseille ou à Mulhouse par exemple. Il ne nous reste alors plus que les études effectuées par les équipes du professeur Raoult. Ce dernier en a publié trois. On reprochait notamment à la première d’avoir un panel de patients trop faible. En effet, quatorze patients ont suivi le protocole de traitement du professeur Raoult, et seize ont simplement suivi le processus habituel de traitement. Pourtant, cet échantillon est trop faible pour pouvoir en tirer des conclusions solides. De plus, dix des seize patients du groupe contrôle ne sont pas testés au jour 0, contrairement à l’ensemble du groupe chloroquine. Chez quatre des patients du groupe chloroquine, aucune charge virale n’est relevée au jour 1. Deux d’entre eux le resteront tout au long de l’étude, tandis que les deux autres présenteront de légers symptômes durant une courte période. La question se pose de savoir si tous les patients du groupe chloroquine étaient infectés en premier lieu. Enfin, six patients du groupe chloroquine ont été exclus du test quelques jours avant la fin alors que leur cas suggère clairement un échec de traitement (parmi les six, trois ont été transférés en soin intensif, un est décédé). La deuxième étude devait dissiper les doutes émis sur la première par la communauté scientifique. L’étude réalisée sur quatre-vingts patients se conclut ainsi : « Nous confirmons l’efficacité de l’hydroxycholoroquine associée à l’azythromycine pour traiter le Covid-19 et son efficacité potentielle pour diminuer précocement la contagiosité. » Toutefois, force est de constater que cette deuxième vague de tests comporte également des failles méthodologiques. Ainsi, cette étude ne présente pas de groupe contrôle, élément pourtant indispensable afin de juger de la réalité des effets médicaux. Par groupe contrôle on entend un ensemble d’individus n’étant pas traités par le médicament test, mais par un placebo, afin de pouvoir comparer leur état au groupe expérimental, et ainsi évaluer l’effet réel du traitement. Parmi les patients du test, 81, 3 % ont pu quitter le service des maladies infectieuses, 15 % ont été placés sous respirateurs artificiels, 3, 8 % ont été déplacés en soin intensif et 1, 2 % sont décédés. Ces chiffres prometteurs sont pourtant similaires aux cas observés sans aucun traitement. La troisième a été publiée jeudi dernier à l'occasion de la visite du président Emmanuel Macron à Marseille. Cette fois-ci, le panel est de mille soixante-et-un patients, dont 91% de guérison. Si le panel est bien plus large, l’étude ne propose toujours pas de groupe comparatif. De plus, le taux de 91% d’efficacité peut paraître impressionnant, mais le taux de guérison spontané se situe entre 85 et 88%. Si le temps nous a manqué pour nous pencher davantage sur cette dernière étude, il semble qu'elle comporte les mêmes biais que les deux premières, et de nombreux médecins et infectiologues ont d'ores et déjà émis des réserves à son sujet.

En dépit des fortes lacunes que comportent ces tests, il est possible que la chloroquine ait un effet sur les malades atteint du Covid-19. Mais là aussi la question se pose de savoir sur qui ? Les patients les plus jeunes ou les plus âgés ? Les plus atteints ou au contraire ceux qui en sont aux premiers stades de la maladie ? Là encore, les études de l’IHU de Marseille ne nous permettent pas de répondre. Il est donc nécessaire de réaliser une véritable étude sur le sujet. En attendant, la responsabilité du docteur Raoult peut être mise en cause. Pourquoi évoquer un traitement sans fond scientifique conséquent pour un professeur aussi émérite ? S’agit-il d’un désir profond d’aider la population ou la tentative d’un coup de théâtre pour se mettre en avant ? Il y a quelques semaines déjà, dans une vidéo YouTube, le médecin préconisait aux individus de se rendre en pharmacie pour se procurer ce produit qui serait selon ses dires très prochainement en rupture de stock. Il a ainsi aidé à engendrer une pénurie de chloroquine, médicament pourtant essentiel dans le traitement de patients atteints du paludisme…

Ainsi, c’est la personnalité même du professeur Raoult qui est mise en cause. Adepte des provocations et des phrases chocs, il avait déclaré le 21 janvier, toujours sur YouTube : « Il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l'OMS s'en mêle, on en parle à la télévision et à la radio. » Des propos qu’il a réaffirmé durant le mois de février. Auteur de plus de six mille publications scientifiques, il est fort probable que toutes ne sont pas de sa plume et qu’il s’est contenté pour nombre d’entre elles d’une relecture et d’une signature au bas de la page. Plus grave encore, dans ce domaine, certains témoignent de « falsification de résultats d'expérience à la demande d'un chercheur. » A l’inverse certains médias comme le Nouvel Obs n’hésitent pas à titrer « Le professeur Raoult est-il le général de Gaulle du Coronavirus ? » En ces temps de métaphore guerrière, toute comparaison militaire semble bonne à prendre. Par ailleurs, des membres de l’IHU de Marseille ont déclaré dans une lettre anonyme « Certains d'entre nous sont fréquemment rabaissés, moqués, humiliés, soumis à des propos machistes. » Le 28 mars France Info révèle que des membres et anciens membres de l'IHU font, à visage découvert, mention de « comportements méprisants », de « menaces ». Doit-on séparer l’homme du scientifique ? Au temps de l’hyper personnalisation c’est l’heure de l’incarnation. Force est de constater que Raoult incarne quelque chose. C’est une dynamique, un espoir, un antisystème, une grande gueule. Le général semble seul dans la bataille, acculé par l’ennemi, abandonné par son état-major. Mais un général qui tire sur ses propres troupes est-il un héros ? Sur les réseaux sociaux, le chercheur est porté en héros sur de nombreux groupes, notamment sur Facebook : « Coalition mondiale en soutien au docteur Didier Raoult » ; « Didier Raoult VS Coronavirus » ; « Pr Raoult vs Coronavirus-Gouvernement» et même « Raoult Didier président de la République pour 2022. » Si par quelques aspects certains de ces groupes peuvent être porteurs d’espoirs et véhiculent des bonnes nouvelles, les intox et les sources d’informations douteuses sont légions. Le professeur Raoult est même devenu l’incarnation des théories complotistes : si le traitement est tellement efficace, pourquoi n’a-t-il pas déjà été généralisé ? On nous cache forcément quelque chose, et ceux qui en doute sont des crédules. Rhétorique classique...

Nous sommes bien conscients que le médecin ne recherche pas à être le héros de ces thèses pour le moins douteuses. Mais en révélant des informations incertaines et en se dressant contre le gouvernement il contribue à augmenter la méfiance de nos concitoyens vis-à-vis de la République. Si le traitement proposé par l’IHU de Marseille peut être une piste à étudier, la précipitation du Docteur Raoult aura contribué à fracturer encore davantage notre pays. Si l’histoire lui donne raison il sera un héros. Si elle lui donne tort il ne sera qu’un vulgaire opportuniste qui joue à l’apprenti sorcier. Pourtant, ne nous a pas-t-on appris que ce n’est pas le résultat qui compte, mais le chemin que l’on décide d’emprunter ?


Simon

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