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Cinéma et écologie

Le cinéma est souvent un reflet des inquiétudes qui traversent une société. Cela est vrai, par exemple, pour le néoréalisme italien d’après-guerre, qui traduit la recherche d’identité d’une Italie misérable au sortir du fascisme ; c’est vrai également pour la vague paranoïaque des body snatchers 1 américains qui suit la sortie de L'Invasion des profanateurs de sépultures en 1956, souvent interprétée comme une métaphore de la peur d’une intrusion communiste au sein même de la société américaine. Art populaire, industrie exigeante, le septième art possède cette capacité quasi systématique de comprendre son époque, de l’épouser et de la traduire à l’écran, pour le meilleur comme pour le pire. Sa capacité à participer activement à la résilience d’un pays traumatisé est également fascinante. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, observez comme on aimait, dans le cinéma catastrophe américain, détruire des villes, des monuments (Roland Emmerich et son Independence Day en 1996 ne vous diront pas le contraire). Observez à présent comme il fallut, après le 11 septembre, attendre une bonne dizaine d’années avant de pratiquer, de nouveau, la destruction à grande échelle 2 . De même, il est comique de constater, depuis la France, comment sont représentés nos concitoyens dans le cinéma populaire outre-Atlantique, au lendemain de notre refus de participer à la Guerre d’Irak de 2003. Un exemple des plus fameux : le personnage français du Mérovingien dans le deuxième volet de Matrix : lâche, sournois, traitre 3 .

A l’heure où les préoccupations écologistes se font de plus en plus intenses, où l’angoisse de sociétés entières se traduit, parfois de manière violente, on peut ainsi se poser la question : Et le cinéma ? Il apparait clairement que le sujet, comme avec la plupart des causes consensuelles, a été empoigné par de nombreuses personnalités (dont nous ne nions pas la sincérité) : Leonardo DiCaprio, et ses multiples discours visant à sensibiliser le monde du cinéma sur ces questions, ou encore le véganisme militant de Joaquin Phoenix font beaucoup parler, notamment lors des cérémonies de remises de récompenses. Les tournages à « label vert » fleurissent également. Le CNC (Centre National du Cinéma français) a publié l’année dernière un « guide » à l’attention des réalisateurs français afin de rendre leurs productions « écolo » 4 . Mais qu’en est-il des films ? Y-a-t ’il une vague bien distincte représentant ces enjeux nouveaux, comme il y a une vague anti-Trump (Blackkklansman, 2018), anti-Bolsonaro (Bacurau, 2019), ou encore post-#MeToo (Scandale, 2020) ? Sans être exhaustifs, nous vous proposons un tour d’horizon de la question climatique dans le cinéma populaire.


Un cinéma grand public en mutation


Le blockbuster, très grand public, est souvent vecteur (parfois malgré lui) d’une tendance sociale et politique. Les extraterrestres, on l’a vu, signifient l’autre, l’ennemi puissant et sournois, dangereux et invasif (on en revient à notre paranoïa envers une invasion communiste). Plus récemment, dans La Guerre des Mondes (2005) de Spielberg, par exemple, l’allusion à l’actualité est à peine voilée lorsque la petite Rachelle panique : « Ce sont les terroristes ? ». La réplique fait sourire, tant elle semble hors sujet face à l’ampleur de l’attaque sans commune mesure avec la réalité. A l’époque, elle fait sens. Mais comment représenter une menace qui n’a pas de visage ? Le cinéma catastrophe répond : par le spectaculaire. Souvent, dans ces films, la menace climatique est synthétisée dans une catastrophe précise. L’extraterrestre devient la tornade, l’inondation ou le tremblement de terre ; Independance Day devient Le Jour d’après. Ces films marchent régulièrement de la façon suivante : une catastrophe « naturelle » arrive, des héros du quotidien y font face, et le happy end final semble dérisoire, tant la moitié de la planète n’est plus habitable et que les niveaux de civilisation régressent. Qu’importent, nos héros sont vivants. Vous l’aurez compris, ces films concrétisent une peur, celle d’une « Nature » trop puissante pour l’Homme, parfois même sans expliciter qu’elle est la cause de l’activité humaine ; l’imaginaire s’en chargeant tout naturellement. Vous l’aurez également compris, ces films proposent une réflexion écologiste très pauvre, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, ils esquivent la question. Les transformations complexes derrière le dérèglement climatique deviennent un simple cataclysme ponctuel. D’autre part, la fin de ces films pose un second problème, plus grave : la population peut périr en majorité, des pays entiers peuvent disparaitre, mais si nos héros américains s’en sortent, alors le futur est plein d’espoir. Evidemment, ces œuvres ne portent pas volontairement ce message ; il n’est que la résultante des attentes individualistes des spectateurs, qui s’investissent et se reconnaissent davantage dans la trajectoire d’individus que dans celle de l’Humanité. C’est pour ça également qu’on a souvent affaire à des familles tout-le-monde, plus proches du public : question d’identification. Il n’empêche qu’il en résulte une incapacité à présenter le problème autrement qu’individuellement, et de manière localisée (dans le temps et dans l’espace). Dans 2012, la survie d’une famille nous importe bien plus que la disparition du Japon, et d’ailleurs celui-ci disparait afin de rendre le tout plus spectaculaire, et non dans un objectif d’empathie.


Des genres intrinsèquement liés au dérèglement climatique


S’il y a bien des genres qui, dans leurs ADN, respirent l’urgence climatique, ce sont bien sûr le « post-apo » et la science-fiction. Les deux présentent, de manière systématique pour le premier, de plus en plus pour le second, l’après dérèglement climatique. Deux exemples parmi les plus populaires de la dernière décennie retiendront notre attention : Interstellar et Mad Max : Fury Road, deux œuvres aux succès commerciaux et critiques relativement positifs. Dans la première, le dérèglement climatique est un prétexte à l’exploration, à la recherche spatiale. Le héros fantasme un passé d’explorateurs. Le problème n’est pas tant l’épuisement des ressources et l’impossibilité croissante de l’homme à vivre sur Terre, mais sa difficulté à la quitter. Finalement très optimiste sur la question (« On va trouver un moyen, on a toujours trouvé » assure Cooper), l’œuvre de Christopher Nolan propose une solution évidemment fictive (le voyage interstellaire). Cela dit, le questionnement que propose le réalisateur n’est pas dénué d’intérêt. En effet, on invite, par l’intermédiaire du personnage du professeur Brand, à dépasser la vision individualiste de la catastrophe, et de penser « en tant qu’espèce » l’enjeu climatique. Cependant, l’aspect très scientiste de la solution pose question. Ici, la NASA travaille seule, au mépris de la population qui la pense dissoute (population d’ailleurs décrite comme naturellement hostile au projet), et sans lui rendre des comptes. Il est présenté une nécessité de contourner le politique, montré comme irresponsable et incompétent (une réplique assez nanardesque explique que le gouvernement souhaitait « bombarder les populations affamées »). Une position très discutable, mais qui a le mérite de proposer une vision de la lutte contre le dérèglement climatique.

Mad Max, quant à lui, livre un propos étonnamment riche. De nombreux critiques ont déjà prouvé la force et les multiples clés de lecture du film, inversement proportionnelles à la taille de son scénario. Parmi elles, évidemment, un discours écologiste. Ici, on évoque surtout la répartition des ressources. Et là où Mad Max est intelligent, et supérieur à de nombreuses productions du genre, c’est qu’il parle de notre présent, tout en prévoyant un futur. Car dans le film, les ressources sont détenues par un tyran, distribuées (littéralement) au compte-gouttes, et la misère côtoie presque l’abondance. Les 1%, les photos des favelas côtoyant les hôtels luxueux, tout le monde aura saisi l’allusion. Mais ce que Mad Max dit aussi, c’est que le dérèglement climatique creuse et favorise ces écarts d’accès aux ressources, et qu’il est ainsi corrélé aux enjeux sociaux. Une forme de social- écologie, dans un blockbuster nerveux et violent. Cette démarche (lier l’écologie à une autre problématique pour construire un raisonnement plus profond, le tout dans un film de genre accessible) est la même que celle de notre cher Bong Joon-ho (décidément partout en ce moment) lorsqu’il rapproche écologie et critique de l’impérialisme américain dans The Host, ou encore écologie et critique de la surproduction animale dans Okja. Mais surtout, elle rejoint son Snowpiercer, dans lequel la catastrophe écologique rend plus explicite les inégalités de classe.


Misère du discours écologiste


Finalement, outre quelques superbes exceptions, le cinéma grand public exploite pauvrement l’enjeu climatique. S’il comprend l’angoisse d’une époque, il peine encore à apporter un propos riche, nuancé et construit sur l’enjeu auquel nous faisons face. Celui-ci est trop souvent utilisé comme prétexte au gigantisme, à la catastrophe. Il n’est que trop peu question d’un discours politique, à l’instar, en quelque sorte, des représentations écologistes telles qu’elles existent dans nos sociétés. Il faudra ainsi se tourner vers un cinéma plus confidentiel, moins occidental, pour répondre à cette problématique. Le cinéma japonais, par exemple, a souvent été friand de ces enjeux. C’est le cas de Hayao Miyazaki, qui s’efforce d’interroger le lien entre nature et progrès technique, le tout en conservant une dimension très sociale. En France, également, un cinéma d’auteur semble progressivement s’emparer de la question. Le documentaire, évidemment, fait la part belle aux discours écologistes (plus ou moins pertinents), mais la fiction également, comme par exemple le très bon L’Heure de la Sortie, de Sébastien Marnier, décrivant l’angoisse et le désenchantement d’un groupe de collégiens collapsologistes 5 .

Mais dans le cinéma grand-public, il reste un ressort scénaristique, et non un véritable sujet en soi. Pire encore, il devient un prétexte pour créer un antagoniste et ses motivations. Dans la dernière phase des films Marvel, le vilain Thanos souhaite mettre en place son projet malthusien 6 de génocide afin de pallier le manque des ressources futur. Evidemment, ce genre d’idées est à combattre. Mais une fois celui-ci vaincu, que reste-t-il des problèmes écologistes ? Du manque de ressource ? Rien, le film évacue totalement cette question, qui ne sera jamais résolue, et oubliée miraculeusement par le scénario, les personnages, et donc les spectateurs. Ce mécanisme est le même dans le néanmoins plaisant Kingsman de Matthew Vaughn.

Cela étant dit, ce manque de propos, cette utilisation maladroite et incomplète des enjeux écologiques n’est peut-être qu’un reflet fidèle d’une réalité politique. L’écologie, devenue presque consensuelle, continue d’être traitée de manière excessivement superficielle dans bon nombre de discours politico-médiatiques ; tantôt de manière catastrophiste, tantôt en la négligeant, la plupart du temps sans réellement produire de discours. Le cinéma l’aurait alors intériorisée, reproduite et représentée fidèlement, et, tel un cercle vicieux, renforcerait le confusionnisme extrême dans lequel le discours écologiste se trouve.

 

1.Le body-snatcher est un sous-genre du cinéma d’invasion extraterrestre dans lequel l’envahisseur prend forme humaine (voire prend possession de corps humains) afin de se fondre discrètement dans la masse. Lathématique de l’espion russe ou de l’idéologie dissidente qui s‘infiltre dans la société américaine est ainsi parfaitement compatible avec ce genre. 2.Pour un article plus détaillé sur l’impact du 11 septembre dans l’audiovisuel américain : Louis Nadau, « Le 11 Septembre imprègne les fictions américaines », La Croix, publié en ligne le 11/09/2016 sur https://www.la-croix.com/Culture/Cinema/Le-11-Septembre-impregne-fictions-americaines-2016-09-11-1200788124 3.Lire à ce sujet : Pascal Riche, « Opération rabibochage », Libération, publié en ligne le 23/12/2003 sur https://www.liberation.fr/grand-angle/2003/12/23/operation-rabibochage_456301 4.Disponible ici : https://www.cnc.fr/cinema/actualites/comment-rendre-un-tournage-ecolo_1001578 5.Gros point de désaccord avec le film cependant : il embrasse petit à petit la vision collapsologiste de ses personnages. 6.De Thomas Malthus (1766 – 1834), doctrine opposée à l’accroissement de la population. Théorie régulièrement actualisée, elle stipule que les populations ont tendance à croître plus rapidement que les ressources dont elles bénéficient et proposent un contrôle des naissances. Elargie, elle peut entendre toutesles solutions proposées pour faire diminuer la démographie, allant jusqu’au génocide. Avec la prise deconscience progressive des enjeux climatiques, elle devient un point polémique et très discuté.

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