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Parasite pour l’Histoire

Dernière mise à jour : 9 mars 2020

Neuf février 2020, Los Angeles. La quatre-vingt-douzième soirée des Oscars a lieu, et un miracle, en même temps. Parasite, déjà lauréat du meilleur scénario et du meilleur film en langue étrangère créé la surprise et remporte tour à tour les Oscars de meilleur réalisateur et de meilleur film, devant les favoris, 1917 et Joker en tête. A partir de cet instant, plus rien ne compte. Peu importe que des films

comme Une Vie Cachée ou Ad Astra aient été boudés lors des sélections, ou que les deux œuvres françaises en lice (Les Misérables et J’ai Perdu Mon Corps, respectivement nommées dans les catégories meilleur film international et meilleur film d’animation) ne repartent bredouille. Seul compte cette double victoire, historique, qui consacre le film de Bong Joon-ho, et fait basculer la soirée en la rendant définitivement historique. Bien loin de l’édition précédente, qui avait consacré un Green Book sympathique mais oubliable, cette cérémonie fut le témoin d’un événement que personne n’attendait, ou en tout cas pas sérieusement.


Il ne sera pas ici question des qualités du film, puisque tout le monde ou presque les a déjà évoquées. Maîtrise de la mise en scène, mélange des genres, propos sur la lutte des classes… tout a été dit, pas besoin d’en rajouter une couche. Il s’agira davantage de dire quelques mots sur la récompense, et ce qu’elle dit sur le cinéma de notre époque.


Film étranger, oui, mais film en langue étrangère


On se souvient du Festival de Cannes, et de la Palme d’Or qui récompensa Parasite. Le métrage était alors devenu la première œuvre coréenne à remporter ce prix si prestigieux. Mais ici, pour les Oscars, le record est bien plus important, et lourd de sens. Parasite n’est certes, pas le premier film étranger à être le « meilleur film » de l’année. On se souvient tout particulièrement du dernier en date, puisqu’il était français (The Artist de Michel Hazanavicius en 2012). En fait, l’exploit tient surtout de la langue du film. En effet, Parasite est le premier film en langue étrangère à gagner la statuette, dans un pays qui a encore du mal avec les sous-titres et dont l’hégémonie culturelle n’est plus à prouver. Et l’intrigue de Parasite et certes, universelle, tout comme son propos est très occidental, il n’empêche que la langue coréenne et le jeu des acteurs et actrices, qui diffèrent des traditions américaines, auraient pu être deux barrières pour les Américains. Avec cette récompense, on peut espérer y voir le signe d’un changement progressif des mentalités. Nous évoquions toute à l’heure la précédente cérémonie, en la dédaignant quelque peu. Mais n’oublions pas un élément : Alfonso Cuarón, réalisateur mexicain, alors en lice pour son film Roma, avait gagné l’Oscar du meilleur réalisateur. Vous l’aurez compris, Roma était déjà un film en langue étrangère (il en a d’ailleurs gagné l’Oscar). Les plus attentifs répondront que Cuaron, à l’instar de Bong, est un réalisateur influent ayant fait ses preuves à Hollywood (la filmographie américaine du mexicain n’est plus à prouver, celle

du coréen est composée du très bon Snowpiercer et d’Okja, produit par Netflix). Et certes, l’Académie n’a pas récompensé deux illustres inconnus des sphères américaines.


Il y a donc encore beaucoup à attendre pour voir une cérémonie américaine reconnaissant le cinéma international, mais les Oscars semblent, petit à petit, remonter la pente. A noter, dans cette optique, le changement de nom de la catégorie « meilleur film en langue étranger », devenu en 2019 la catégorie du « meilleur film international ». Mais d’ailleurs, faut-il en finir avec cette catégorie ? Il semble un peu tôt pour en mesurer les conséquences, mais la victoire de Parasite ouvre évidemment le débat. Quel sens cela-a-t-il d’être nommé dans les catégories « meilleur film international » et « meilleur film » ? En étant présent dans les deux, Parasite pouvait-il ne pas gagner l’Oscar du meilleur film international ? Bref, la présence même de cette catégorie peut donner lieu à certaines situations paradoxales. Mais pour autant, faut-il la supprimer ? Rappelons qu’on retrouve cette catégorie dans la plupart des cérémonies équivalentes, les Césars en tête. Bien sûr, nulle cérémonie n’a autant de prestige et de renom que celle des Oscars. Outre l’aspect symbolique, obtenir une des fameuses statuettes dorées est l’assurance de voir, par exemple, ses prochains projets financés.


La question n’est pas simple, et il faudra attendre quelques années pour voir si la situation se reproduit, ou si cette édition 2020 représente un accident de parcours, un magnifique miracle qui n’est pas près de se reproduire.


Festival de Cannes et Oscar du meilleur film


Plus haut, nous avons évoqué la Palme d’Or donnée à Parasite lors de la dernière édition. Ce n’était pas anodin. En effet, et c’est la deuxième particularité que nous pointerons ici : Parasite est le premier film, depuis 1955, à remporter à la fois les récompenses ultimes du prestigieux festival français et de la cérémonie la plus suivie de récompenses cinématographiques américaine. En apparence inconciliables, les deux institutions aux objectifs et historiques bien distincts ont mis de côté leurs oppositions pour s’accorder autour d’un seul et même film, à la fois film d’auteur, film de genre, et film grand public. Et c’est sans doute la force de Bong Joon-ho, véritable auteur qui fait passer ses messages dans des films très codifiés et donc accessibles universellement : l’impérialisme américain dans un film de monstre avec The Host, la lutte des classes dans un film post- apocalyptique avec Snowpiercer, la surconsommation de viande dans l’aventure fantastique Okja,

pour ne prendre que les trois exemples les plus évidents. Avec le recul, s’il y avait un réalisateur capable de réconcilier Cannes et Hollywood, c’était donc bien le fameux Bong, pour notre plus grand bonheur.


Et dans ce sens, il ne pouvait y avoir de meilleur film pour clôturer notre décennie et pour en ouvrir aussi bien une nouvelle. Car outre ses qualités indéniables, le phénomène Parasite, depuis sa Palme d’Or jusqu’aux Oscars en passant par son surprenant succès sur le sol français représente ce qu’il y a de mieux à attendre pour ces prochaines années : des films de genre, réalisés par des auteurs, aux messages universels tout en conservant des spécificités locales contrastant avec les carcans américains, remporter des succès à la fois populaires et critiques. De quoi mettre tout le monde, ou presque, d’accord.


Baptiste Demairé

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